L'AIR NUMERIQUE
Internet
et réseaux sociaux : regard d'un jeune sur des pratiques de jeunes, par
Valentin Daubeuf, NJEP (Institut National de le Jeunesse et de
l’Éducation Populaire)
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jeunes d’un lycée général et technologique ont été interviewés par
Valentin, 20 ans, en juin 2015 sur leurs pratiques d’information
(notamment dans le cadre de leur parcours personnel). Ils témoignent de
leurs expériences et de leurs perceptions des plateformes, outils
numériques et réseaux sociaux.
Les cours de culture numérique d'Hervé Le Crosnier, enseignant chercheur à l'université de Caen.
Il
poursuit la mise en ligne de ses cours sur la culture numérique,
dispensés en amphithéâtre depuis 2009. Chaque cours est accompagné d'un
résumé, de son contenu et du support de présentation (diaporama
chapitré). Chacun est en outre libre de télécharger la vidéo (format
MP4, durée : environ 50 mn.) ainsi que le diaporama (format
PDF).httphttp://www.canal-u.tv/producteurs/centre_d_enseignement_multimedia_universitaire_c_e_m_u/culture_numerique/cours_de_culture_numerique://youtu.be/XZ4l7Wl4hfw
Conférence
avec Evgeny Morozov et Emmanuel Davidendkoff (1h35) : Quels enjeux pour
l'éducation dans une société numérique ? Une vision des défis qui
attendent l'éducation de demain.
A écouter en streaming
Donner
à voir les traces numériques, Dominique Cardon, sociologue Laboratoire
des usages (SENSE) d’Orange Labs et Professeur associé à l’Université
Paris-Est Marne-la-Vallée (LATTS) - article publié dans Projections n°37
(décembre 2015
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DONNER À VOIR LES TRACES NUMÉRIQUES
actualité du 15 février 2016
Les
traces numériques se multiplient dans d’immenses entrepôts de captures
souterraines [1]. L’enregistrement des traces se déploie aujourd’hui
dans tous les domaines avec pour ambition le projet d’une «
digitalisation de la vie elle-même » [2]. Le web s’étend en transformant
en objet numérique des choses, des activités, des flux ou des états qui
restaient précédemment dans l’ombre. Silencieusement ancrées à leur
contexte, ces traces n’avaient pas de raisons particulières de circuler
dans un espace d’information plus large. Idiosyncrasiques, non ou peu
intentionnelles, souvent à peine perçues et isolées en tant que telle,
elles ne font pas sens hors de leur contexte et lui sont souvent si
profondément attachés qu’elles ne se distinguent pas du flux d’activité
des individus. En leur donnant une existence numérique, le web rend
perceptibles, mobiles et dénombrables des états du monde jusqu’alors
inaperçus. Cet insatiable mouvement d’expansion, dont le point de fuite
est le développement d’un Internet des objets, procède d’un processus de
rationalisation qui vise à capturer ces états « à bas bruit » du monde
afin d’en faire des informations digitales. Il s’agit de transformer des
empreintes en indices, de faire signe avec des traces [3].
Pris
individuellement, ces enregistrements du quotidien des individus
semblent de peu de signification, mais rendus communs, ils peuvent
constituer des espaces documentaires inattendus et initier les
coordinations opportunistes qui sont au principe de la formation des
communautés sur le web. Un même processus s’observe pour de nombreuses
empreintes de la vie quotidienne. Nous n’avions pas idée de compter
notre nombre d’amis, Facebook nous a appris à le faire. Nous ne
mesurions pas le nombre de kilomètres parcourus dans la journée, Fitbit
le fait pour nous. Nous ne dénombrions pas le nombre d’actions
militantes (réunions, tracts distribués, porte-à-porte ou appels
téléphoniques), MyBarackObama.com en a fait un badge de fierté à
afficher devant ses proches. Alors que les trajets quotidiens, les
efforts sportifs, la consommation électrique ne laissaient pas de traces
exploitables, étaient oublié à l’instant et ne devenaient support
d’aucune connaissance, ou d’une connaissance simplement locale et à
usage strictement personnel, ils sont aujourd’hui devenus des prises
exploitables qui peuvent, en certaines circonstances, servir à produire
de l’information, du réseau, des métriques ou des conversations. La
numérisation des traces participe donc à un mouvement d’emprise sur le
monde qui augmente les possibilités de faire sens d’empreintes multiples
lorsque celles-ci sont rendues publiques et partageables. La
composition des représentations de la société ne cessent de s’élargir à
de nouveaux types d’information qui n’appartiennent pas aux catégories
traditionnelles (l’âge, le lieu, la catégorisation socioprofessionnelle,
le niveau de revenu…) de figuration du social.
© Marvel Universe Grid
VISUALISER LES DONNÉES
Stockées, agrégées, calculées, les données entrent de plus en plus souvent dans des dispositifs de marché, de surveillance,
d’évaluation ou de recommandation. La mise en place d’un monde des
données est souvent appréciée, avec enthousiasme ou frayeur, comme une
nouvelle puissance susceptible, pour les uns, de réinventer les marchés
et l’organisation, de rendre la démocratie plus transparente, de
faciliter les interactions avec les choses et l’environnement ou
d’élaborer des connaissances prédictives, alors que d’autres s’alarment
des usages commerciaux des fichiers, des menaces sur la vie privée, de
la dictature de l’hyper-visibilité ou de la colonisation du monde vécu
par un esprit de calcul et d’évaluation. Or, pendant que s’affole le
débat sur les risques et les opportunités des big data, d’autres
s’affairent à régler les algorithmes destinés à faire « parler » les
données [4]. Ils s’échinent à construire de nouveaux artefacts
computationnels destinés à mettre en signification les mondes de
données. Ils composent avec l’hétérogénéité grandissante des traces,
testent des modèles, mobilisent de nouveaux savoirs statistiques et
conçoivent de nouvelles formes de visualisation. Car des données, il
faut faire sens et forme. Aussi voudrait-on interroger les nouveaux
paradigmes visuels que peuvent composer les mondes de données lorsqu’ils
rencontrent des algorithmes.
Visualisation des groupes de cyclistes, par, de, vers les femmes à Philadelphie et New York.
(Source : http://www.visualcomplexity.com)
GRAPHES NŒUDS-LIENS
Dans
le domaine du marketing, du design et du journalisme, la question de la
visualisation des données est depuis quelques années en animation
constante. Elle se nourrit à la fois de l’augmentation des possibilités
offertes par les outils informatiques et graphiques et surtout de
l’accroissement des sources et des flux de données. Les gigantesques
bases données que les plateformes numériques sont en train de constituer
sont pourtant « idiotes ». Alors que la construction de la statistique
traditionnelle s’est appuyé sur un ensemble de techniques destinées à
produire une représentation catégorielle du monde, le monde des big data
ne cherche pas à représenter le social mais à l’aspirer. À
l’échantillonnage catégoriel, il préfère la totalité réticulée, et
aspire dans ses serveurs gloutons un ensemble proliférant, désordonné et
hétérogène de traces et d’informations dont il est difficile de rendre
sens. Désormais plus que le tableau ou la liste classée, c’est le graphe
qui est devenu la principale signature visuelle des nouvelles données
numériques. Les données digitales sont représentés sous formes de nœuds
et d’arêtes. Elles se nouent et se dénouent dans des clusters, forment
des agrégats et des chemins, se laissent zoomer et dézoomer. Le graphe
est devenue l’outil d’exploration des traces numériques et, de façon
significative, les algorithmes qui sont nécessaires à cette mise en
forme ne sont plus destinés à produire des agrégats catégoriels
produisant des indices et des taux de corrélation, mais à visualiser le
placement des points sur les nouvelles cartes digitales, comme ces
cartes de liens entres les sites et blogs politiques du web. Le calcul
ne mesure plus des causes, des déterminations ou des corrélations, il
visualise l’espace des relations entre des données hétérogènes. Les
interprétations ne sont plus disponibles sous forme de théories et
d’hypothèses déjà constituées, mais l’interprète doit tracer son chemin
en explorant la carte des données sans boussole ni théorie préalable. Ce
changement de paradigme dans les techniques de traitement des données
qui déplace les techniques de visualisation du tableau de chiffres vers
le graphe nœuds-lien est aussi le témoin d’une transformation des
manières de construire et de représenter la société dans le travail des
sciences humaines.
The
infosphere se réfère à un environnement interdépendant, comme une
biosphère, qui est peuplée par des entités informationnelles.
© Juuke Schoorl
VISUAL COMPLEXITY
C’est
dans ce contexte que la visualisation des données numériques sous
formes de graphes nœuds-liens est apparue comme une nouvelle étape dans
le travail d’analyse des données. Entre la trace et l’interprétation se
glisse désormais le moment de la visualisation. Celui-ci est apparu
comme un moyen de court-circuiter la connexion immédiate et invisible
entre les données et les algorithmes statistiques. Face aux torrents des
big data, un détour s’impose : regarder les données, circuler dans le
flux décousu des traces, tester la solidité des connexions entre
entités, préserver une sorte d’état élémentaire des traces. La
visualisation est venue interrompre l’interprétation automatique de la
statistique. Dans le domaine des web science, où se retrouvent
informaticiens et sociologues, la créativité des chercheurs s’est
considérablement épanouie ces dix dernières années, ainsi qu’en témoigne
le site Visualcomplexity sur lequel Manuel Lima rassemble les multiples
expériences de représentations des données sous forme de graphes [5].
Outre le fait que la sélection de ces figurations se fait moins en fonction de leur apport scientifique que de leur esthétique visuelle et de leur capacité à proposer de nouvelles façons de naviguer dans les données, ces représentations introduisent du jeu dans les catégories habituelles de description du monde social. Sur les outils de Jeffrey Heer, il est possible de voir les réseaux d’« amis » Facebook, Friendster ou Orkut s’organiser en blocs colorés, mais les liens d’amitiés sont-ils vraiment des témoins de ce que l’on entend habituellement par amitié ? Sur Linkfluence, il est possible de naviguer entre les blogs regroupés par territoires thématiques, mais cette territorialisation peut-elle être comparée à une géographie urbaine avec ses routes nationales, ses artères et ses chemins vicinaux ? Sur HistoryFlows, il est possible de naviguer temporellement dans la rédaction coopérative d’un article de Wikipédia, mais cette trajectoire est-elle le reflet de ce que l’on avait habituellement l’habitude d’entendre comme échange d’arguments ? Sur les graphes de Nicholas Christakis et James Fowler qui représentent le poids des personnes et leurs liens sociaux, il semble que l’obésité soit contagieuse au sein d’un réseau amical [6]. Ces nouvelles approches entrent en résonance avec les transformations des paradigmes interprétatifs dans les sciences sociales. Elles semblent entériner l’idée d’une dilution des formes sociales instituées, des catégories stables et des interprétations robustes
Outre le fait que la sélection de ces figurations se fait moins en fonction de leur apport scientifique que de leur esthétique visuelle et de leur capacité à proposer de nouvelles façons de naviguer dans les données, ces représentations introduisent du jeu dans les catégories habituelles de description du monde social. Sur les outils de Jeffrey Heer, il est possible de voir les réseaux d’« amis » Facebook, Friendster ou Orkut s’organiser en blocs colorés, mais les liens d’amitiés sont-ils vraiment des témoins de ce que l’on entend habituellement par amitié ? Sur Linkfluence, il est possible de naviguer entre les blogs regroupés par territoires thématiques, mais cette territorialisation peut-elle être comparée à une géographie urbaine avec ses routes nationales, ses artères et ses chemins vicinaux ? Sur HistoryFlows, il est possible de naviguer temporellement dans la rédaction coopérative d’un article de Wikipédia, mais cette trajectoire est-elle le reflet de ce que l’on avait habituellement l’habitude d’entendre comme échange d’arguments ? Sur les graphes de Nicholas Christakis et James Fowler qui représentent le poids des personnes et leurs liens sociaux, il semble que l’obésité soit contagieuse au sein d’un réseau amical [6]. Ces nouvelles approches entrent en résonance avec les transformations des paradigmes interprétatifs dans les sciences sociales. Elles semblent entériner l’idée d’une dilution des formes sociales instituées, des catégories stables et des interprétations robustes
De
façon parfaitement ambivalente, elles peuvent alors à la fois servir la
disparition de l’effort interprétatif des sciences sociales au profit
d’une simple symptomatologie d’un monde soudainement devenu « liquide »
[7], comme elle peut renforcer le travail d’inventivité interprétative
de la sociologie s’attachant à identifier de nouvelles façon d’associer
les entités qui composent le monde social. Ce que la visualisation des
nouvelles traces digitales fait alors voir, c’est que les catégories
d’interprétation traditionnelles ne tiennent plus d’elles-mêmes et qu’il
faut commencer par regarder avant d’interpréter [8].
Dominique CARDON
Sociologue Laboratoire des usages (SENSE) d’Orange Labs et Professeur associé à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée (LATTS)
Article publié dans Projections n°37 (décembre 2015)
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